== Février 1952 : une Allard P1 remporte le rallye de Monte Carlo.

Qui mieux que son pilote pouvait raconter l'aventure de l'Allard P1 dans cette édition 1952 du déjà mythique rallye de Monte Carlo ? Voici donc la traduction d'un article paru dans la revue britannique Speed Age en février 1952 :

“Monte Carlo Rally impressions” par Sydney Allard

"Mon équipage est composé de Guy Warburton et Tom Lush, et il est convenu que Guy et moi partagerions le volant tandis que Tom serait responsable de la navigation et du chronométrage. Cette combinaison avait déjà participé à un rallye et cela avait donné entière satisfaction.
Nous avons choisi Glasgow comme point de départ, vu que les autres points de départ possibles nous imposent trop de route pour y parvenir de notre bureau. Nous découvrons que nous sommes les avant-derniers à nous élancer, et qu'il y a 72 voitures devant nous. Mme Allard et sa soeur, aussi dans une Allard, nous précédent de 15 places, et cet ordre sera gardé jusqu'à leur abandon à 1200 km de Monte Carlo.
Les conditions climatiques entre Glasgow et Carlisle sont sacrément mauvaises, les routes étant couvertes de neige avec des plaques de glace, et ces conditions sont aussi de mise à 80 km de Llandrindod.

" De Wales, nous nous dirigeons vers Folkestone. La traversée de la Manche est accomplie sans souci et nous reprenons notre chemin vers le premier contrôle de Lille.
De Lille, nous bifurquons au nord vers Liège, et de là, toujours au nord vers les plates contrées de Hollande. Nous traversons le nouveau pont d'Arnhem aux petites heures du matin et nous atteignons Amsterdam à temps pour un petit déjeuner matinal. Là, nous sommes rejoints par des concurrents partis d'autres villes-départ et nous commencons à voir des marques de voitures étrangères portant des plaques de la plupart des pays européens. Un incident amusant se déroule à ce contrôle. Quand nous rejoignons notre auto, nous sommes horrifiés de constater que quelqu'un a peint un énorme lévrier sur le côté de notre auto. Nous sommes troublés et ce n'est qu'au moment d'ouvrir la voiture et de constater que notre clef ne fonctionne pas que nous constatons que ce n'est pas notre voiture mais une autre Allard d'une couleur identique; elle est partie d'Oslo ! Nous avons bien ri de cette coïncidence durant tout le reste du rallye quand nous verrons d'autres personnes faire la même erreur. Jusqu'alors, le temps est sec et rien n'a pu nous empêcher de respecter l'horaire.

"D'Amsterdam, nous mettons le cap au sud vers Anvers, Bruxelles et Reims puis Paris. Nous sommes escortés dans la traversée de Paris par des motocyclistes de la police qui nous mettent en convoi jusqu'en banlieue. La police a pris les choses très à coeur et notre vitesse moyenne pour la traversée de la circulation parisienne est de ce fait très élevée ! Au sud de Paris, nous quittons les routes principales et pour la première fois nous faisons route sur des voies secondaires jusqu'aux premières montagnes.
A Bourges, dans une vallée, nous apprenons que les routes sont très enneigées et que d'importantes chutes de neige ont lieu dans les montagnes. Nous nous dépêchons, faisant route le plus vite possible, car nous savons que la partie critique du rallye débute maintenant. La neige est soufflée horizontale contre les vitres de l'auto et ces accumulations rendent la visibilté très mauvaise. De chaque côté, la largeur de la chaussée est considérablement réduite par les congères et c'est au petit bonheur la chance pour doubler dans les portions plus larges, voir les virages, et il faut le faire sans hésitation. C'est une expérience intéressante car on ne sait jamais ce qu'il y a sur les bas-côtés !
Nous accomplissons toutes ces sections sans perdre de temps, quoique celle du Puy par la vallée du Rhône jusqu'à Valence, une distance de quelques 120 km, n'est réalisée qu'avec une minute de mieux que l'horaire imparti. C'est dans cette portion que beaucoup de concurrents vont perdre du temps et nous sommes les seuls partis de Glasgow à être dans les temps. Le reste de la course est parcouru sans souci quoique les routes soient couvertes de neige.

"Nous passons la totalité du samedi, en compagnie de plusieurs autres équipages, à reconnaître l'étape de régularité, et à la fin de la journée nous en avons mémorisé les principales difficultés.
Nous sommes horrifés de constater le dimanche matin qu'il a fort neigé toute la nuit, ce qui signifie que tous nos repères sont effacés. Malgré cela, nous faisons cette étape, avec 50 autres concurrents, et à l'heure du déjeuner nous avons tous fini. Je passe l'après-midi à attendre les résultats. Nous somme en train de boire le thé quand la nouvelle parvient que nous avons gagné le rallye ! "

[ Photo parue dans Motorsport en mars 1952. ]

Hormis une glissade dans un mur dans l'épreuve de vitesse ayant entrainé un globe de phare cassé et une roue tordue, Sydney Allard ne connut pas d'autres mésaventures.
Malgré une 3ème place aux 24 Heures du Mans 1950, le succès de l'Allard P1 dans le rallye de Monte-Carlo est le trophée qui a fait le plus connaître la marque anglaise au niveau international.

[ Photo de l'ACM. ]

Photo officielle de l'équipage face aux officiels au pied du Palais de la Principauté de Monaco.
Il y a deux Allard P1 au départ de Glasgow. La seconde auto est conduite par Eleanor Allard, son épouse. Elle terminera sa course dans un fossé après Clermont-Ferrand à cause d'une route très enneigée. La # 146 est la seule auto partie de Glasgow à parvenir à Monaco sans prendre la moindre pénalité.

[ Photo parue dans Car and Driver de Juillet 1961. ]

De retour de Monaco, l'équipage vainqueur pose devant le magasin de la marque à Londres en février 1952. Cela faisait 21 ans qu'une voiture anglaise n'avait plus inscrit son nom au palmarès de l'épreuve monégasque. En 1941, Donald Mitchell Healey sur une Invicta type S de 4,5L l'a alors emporté (il finira second en 1942).
Le chemin du retour, par la route comment font tous les concurrents de l'époque, a été mouvementé : l'auto porte à l'avant droit les séquelles d'un accrochage.

[ Photo parue dans la revue Motor en février 1952. ]

De retour en Angleterre, Tom Lush, Sydney Allard et Guy Warburton posent pour la presse devant l'Allard P1.
On voit sur cette photo la roue de secours placée à gauche du conducteur.

[ Publicité parue en mars 1952 dans la revue britannique Motor. ]

Ce succès au rallye de Monte-Carlo permet à Allard de vendre cette année-là 143 autos. Ce sera le record dans la production des Allard de 1937 à 1955. A noter que la voiture a été réparée de son accrochage sur le parcours routier du retour mais laissée "dans son jus" en ce qui concerne les séquelles de la course : le phare additionnel avant droit dont la vitre est brisée et le pare choc et la plaque de rallye à l'avant gauche légèrement tordus.

[ Extrait d'une publicité éditée dans la presse britannique en 1952. ]

Fort de ce succès, le catalogue de la marque propose dès mars 1952 un modèle P2 "Monte Carlo Saloon" de 5-6 places dont la particularité est que le lourd capot avant s'ouvreau moyen de deux vérins hydrauliques situés derrière les phares. Le capot englobe alors la roue de secours, placée extérieurement sur le modèle P1.
Conçue autour d'un châssis tubulaire et dotée d'origine d'un V8 Ford de 3622 cc, l'auto est aussi proposée avec des V8 Lincoln, Chrysler ou Cadillac. Dans les configurations proposées, le levier de boîte de vitesse peut être en position centrale, latérale ou au volant.

[ Extrait d'une publicité éditée dans la presse britannique en 1952. ]

Jusqu'au début 1953, toutes les publicités de la marque affichent un encart vantant la victoire au rallye de Monte-Carlo 1952.